L'affaire Peclet,
aux racines du doute

Débutée en novembre 2016 à Genlis, l'affaire du viol d'une fillette prend officiellement fin avec la notification de non-lieu général. Seule certitude dans ce dossier : une enfant de 4 ans à l'époque a bien été victime d'un viol. Nous revenons sur cette affaire et le cas d'Éric Peclet, instituteur remplaçant, qui avait été mis en examen puis placé en détention provisoire avant d'être mis sous le statut de témoin assisté...

Photo LBP/Emma BUONCRISTIANI

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"Avant cela, j'avais foi en la justice"
Éric Peclet

Éric et Zakiya Peclet. Photo LBP/Emma BUONCRISTIANI

Éric et Zakiya Peclet. Photo LBP/Emma BUONCRISTIANI

C’est à 30 ans qu’Éric Peclet, après avoir touché à plusieurs métiers, se lance dans l’enseignement. Une vocation forte le porte, celle de la transmission, de préférence « dans la joie, avec beaucoup de musique ». Avec ses états de service impeccables et l’engouement qu’il provoque, le professeur des écoles monte en grade rapidement et devient directeur. « Pour la rentrée de septembre 2016, je fais le choix d’être remplaçant et je quitte donc mes fonctions d’enseignant directeur à Chambolle-Morey-Saint-Denis ». La raison ? « La charge de plus en plus lourde, qui me laisse peu de temps pour ma vie de famille. Je voulais retrouver le plaisir d’enseigner, du temps pour mes proches, me sentir à nouveau plus léger. » Septembre et octobre passent et Éric est persuadé d’avoir fait « le bon choix ». Avec sa femme, Zakiya, qui a accepté exceptionnellement et pour cette unique fois de parler de l’affaire, ils reviennent sur ces jours qui ont fait basculer leur vie.

Lundi 14 novembre 2016

Éric Peclet. « Quand j’arrive lundi 14 novembre 2016 sur le poste de remplaçant à La Chenaie (école maternelle à Genlis, ndlr), je sais que c’est pour deux semaines. Je vais avoir à charge un double niveau (première et moyenne sections de mémoire). J’ai la surprise d’être rejoint par une collègue, Amandine, qui vient pour assurer, comme elle le fait depuis le début de l’année, une décharge de direction un lundi sur quatre. Le rectorat avait oublié ce détail et nous nous retrouvons donc en doublon. […] Une première journée idéale qui se termine en grattant la guitare avec les élèves. Je me suis d’ailleurs dit qu’il fallait que je fasse un effort pour retenir le prénom des enfants que je vais voir plusieurs jours. Le matin, je retiens ceux des petits les plus “saillants”, comme il y en a dans toutes les classes, ceux qui occupent beaucoup l’espace. L’après-midi, justement, je fais le tour mental de ceux dont je n’ai pas encore le prénom en tête, dont la petite fille en question. Je vais même sur le trombinoscope pour me le remettre en tête. Il s’agit d’une élève discrète […] qui ne fait pas de vague. Je n’ai pas vraiment de souvenir notable de la fillette. »

Mardi 15 novembre

Direction l’école d’Izeure pour Éric Peclet, qui assure un autre remplacement – imprévu – sur place.

Mercredi 16 novembre

Éric Peclet est de retour à Genlis. Il est accompagné d’une stagiaire de troisième. C’est ce jour-là que la maman contacte l’école, disant que sa fille lui a confié « qu’un monsieur lui a gratté le kiki ». Que cela daterait de lundi. À ce moment-là, au téléphone, les mots rapportés par la mère de la victime évoquent bien un homme, mais pas directement le maître.

L'école La Chenaie à Genlis. Photo LBP/Philippe Pinget

L'école La Chenaie à Genlis. Photo LBP/Philippe Pinget

Éric Peclet. « Quand l’inspecteur académique m’appelle le mercredi soir, c’est après que l’enseignante l’a prévenu du signalement de la maman. Sans vouloir m’alarmer, il me demande si j’ai noté quelque chose d’inhabituel le lundi. Je lui réponds que non, il me remercie et me confirme que [le lendemain] je vais à La Chenaie prendre mon poste. Je pense qu’il s’agit d’une bagarre ou d’une histoire entre gamins, qu’un parent inquiet monte en épingle. »

Zakiya Peclet. « J’ai compris qu’il lui demandait des détails sur cette journée du lundi. Je me souviens lui avoir dit lorsqu’il a raccroché  : “C’est quoi cette histoire”. Ce coup de fil m’a surprise. Je l’ai trouvé bizarre. Alors même que l’inspecteur avait été assez évasif, j’ai été très inquiète. Je suis une personne très instinctive et j’ai senti que quelque chose clochait. » 

Jeudi 17 novembre au matin

Éric Peclet. « Alors que j’étais sur le point d’aller à Genlis, l’inspecteur me donne rendez-vous immédiatement à l’inspection d’académie. […] Sur place, l’inspecteur ne tourne pas autour du pot et m’annonce qu’une goutte de sang a été retrouvée dans la culotte de la petite et qu’elle affirme qu’un “monsieur lui a gratté le kiki”. La suspicion est forcément désagréable, mais je ne me sens pas en danger, puisque je sais que je n’ai rien fait et, surtout, que je n’ai jamais été seul avec les gamins. Devant moi, l’inspecteur consulte des papiers. Ce sont les propos de mes collègues qui confirment que j’ai été accompagné tout au long de la journée. Dans ma tête, je me dis que c’est un miracle qu’il y ait eu une erreur de l’administration ce fameux lundi ! Pour moi, cette présence c’est une chance, une protection, d’autant que le jour suivant j’étais à Izeure, dans un autre établissement et le mercredi une stagiaire de troisième m’accompagnait tout le temps. On m’informe que la maman est gendarme et qu’on ne sait pas s’il y aura plainte. »

Zakiya Peclet. « L’inspecteur l’a rappelé tôt, lui disant de le retrouver à l’inspection d’académie (vers la Toison d’Or, à Dijon, ndlr). J’ai senti que ça n’allait pas. Étant très croyante, j’ai commencé à prier. […] Malgré son assurance, je sens qu’une grosse épreuve nous tombe dessus et je m’y prépare. Nous n’avions qu’une hâte, qu’on puisse, qu’il puisse, s’expliquer. »

Photo LBP/Emma BUONCRISTIANI

Photo LBP/Emma BUONCRISTIANI

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Vendredi 18 novembre

Ce matin-là, quand il signe l’autorisation de perquisition, c’est en échange de la certitude qu’il y a bien eu constatations d’une agression sur la petite fille. Jusque-là, il était persuadé qu’il n’y avait pas eu d’examen médical et que les parents s’étaient inquiétés inutilement. Les gendarmes lui confirment le viol.

Éric Peclet. « C’est à ce moment que je bascule dans le cauchemar. Je comprends que je suis plongé dans quelque chose de grave et que malgré les éléments […] prouvant que je n’ai rien fait, ça risque d’être long pour me sortir de tout ça. De retour à la gendarmerie, on me dit que la petite me désigne comme son agresseur. On m’explique comment je l’aurais agressée. Moi, je ne comprends pas pourquoi elle m’accuse. Ça me bouleverse tellement qu’à un moment, j’ai même douté de moi, me demandant si j’avais des troubles dissociatifs et si je l’avais fait. À ce moment-là, je ne sais pas que ce n’est pas moi, mais un monsieur qu’elle a initialement désigné. […] Ils tentent le tout pour le tout : “Et si je vous dis qu’on a retrouvé votre sperme dans la culotte de la petite, que répondez-vous… ?”. Rien. Car je ne comprends rien ! »

Zakiya Peclet. « Ils [sont venus] pour une perquisition […]. L’image qui me reste, ce sont deux gendarmes qui sortent des véhicules et se tapent dans la main. Au début, je n’avais pas vu qu’Éric les accompagnait. Lorsqu’il apparaît dans l’embrasure de la porte, je mets mes mains sur son visage pour qu’il sente quelque chose de familier et ma confiance, mon amour. Les enfants sentaient que quelque chose n’allait pas. Younous m’a dit : “Papa a des menottes !”. (Elle marque une pause dans le récit, les larmes montent). La perquisition s’est déroulée dans le calme. […] Éric a juste eu le temps de me glisser que la fillette avait été agressée. »

Vendredi 18 novembre, suite de la journée

Éric Peclet. « L’interrogatoire est très poussé. C’est terrible, on n’est pas dans son état normal, tout y participe. »

Zakiya Peclet. « Après la perquisition, j’ai appelé ma belle-mère, qui n’était pas au courant. Je lui ai demandé de s’asseoir avant de lui assener la nouvelle, je me souviens encore le cri terrible qu’elle a poussé. Un cri qui fait mal. Après, elle prend les choses en main et c’est ensemble que nous nous rendons à la gendarmerie. Commence alors mon entretien avec les enquêteurs. Rien ne m’est épargné : qui je suis, notre mariage, notre intimité, même sexuelle… Pour moi qui suis très pudique… Et pourtant, il faut tout déballer. C’est avilissant, mais je le fais car je suis honnête et, surtout, je veux qu’ils comprennent que nous n’avons rien à cacher. Ils m’ont dit des horreurs comme : “Savez-vous qu’on peut violer un enfant avec un stylo ?”. Une autre question en particulier m’a marquée : “Pourquoi avoir quatre enfants, c’est étrange, non ? Pas commun ?’’. Là encore, le doute et la salissure planent, j’en avais la nausée […]. »

Samedi 19 novembre

Éric Peclet. « Après deux nuits sans sommeil et sans manger, le samedi matin, on m’emmène au tribunal de grande instance de Dijon. Je vois une substitut du procureur, qui me dit que les faits sont graves, que j’encoure vingt ans de prison […]. Puis, je vois le juge d’instruction Vion. Je trouve qu’il a l’air calme, posé, je pense qu’il va prendre le temps de chercher et de trouver la vérité. Il me dit que des photos de quatorze fillettes ont été trouvées dans mon ordinateur. Impossible de les voir ni de savoir de quoi il parle. Ces photos, elles planeront pendant des années sur le dossier. Elles serviront d’excuse pour rejeter mes demandes de libération. Quand on y a enfin accès, en août 2017, on constate que l’épouvantail qui a fait planer le doute sur moi […] est en fait… un travail scolaire. Qu’il n’y a pas quatorze, mais sept fillettes et garçons, qui se sont pris en photo portrait lors d’un atelier pédagogique […]. Le juge Vion me dit qu’au vu de ces éléments (la déclaration de la fillette et les photos), on me met en examen. Quand je lui oppose le fait que je n’ai jamais été seul avec les enfants, il m’assène que lors du départ en récréation, je fermais la marche avec les derniers élèves… J’encaisse le coup en me disant que l’enquête me donnera raison… Si j’avais su… Enfin […], on me mène chez le juge [des libertés et de la détention] pour statuer sur une éventuelle détention. Moi, je suis persuadé que je vais retourner chez moi. Ce qui me fait tenir depuis des jours, c’est l’idée de revoir ma famille. Je me dis qu’on ne peut pas m’arracher à eux et je me trompe. Il accède à la demande de la substitut et je pars en prison. Je croyais que chacune des trois personnes que j’avais vues était un fusible, destiné à empêcher les erreurs, alors qu’en fait, je distingue un écosystème dont les éléments ne se remettent pas en question l’un l’autre. Le samedi après-midi, j’arrive donc à la maison d’arrêt de Dijon dans un état second […]. »

La prison

Éric Peclet. « On est toujours deux en cellule et c’est une vraie souffrance […]. C’est du vampirisme psychique d’être enfermé, jamais seul. […] J’ai pris des somnifères dès la première semaine, je ne dormais pas, je rabâchais et cogitais sans cesse. On se demande comment le corps tient le choc, tellement le degré de tension est élevé. Au bout de deux semaines, l’affaire sort dans les médias et ça se propage en prison. Là, c’est chaud, l’info de qui j’étais et de quoi on m’accusait a rapidement filtré. Tout le monde était au courant et beaucoup voulaient me faire la peau. J’ai arrêté les promenades, je restais enfermé non-stop dans ma cellule de 8 mètres carrés. Certains s’arrêtaient à la porte et me chuchotaient des menaces. Un détenu a tenté de m’agresser sur le chemin du parloir. Du coup, on m’a fait faire un grand détour pour m’y acheminer. Je vivais dans une angoisse permanente. »

Photo archives LBP/Philippe BRUCHOT

Photo archives LBP/Philippe BRUCHOT

Vendredi 24 mars 2017

Éric Peclet. « Pendant quatre mois, mes demandes de sortie de prison sont rejetées, rejets confirmés en appel. Je suis face à une machine qui se tient bien et qui est prête à m’écraser. Le ton change en mars 2017. Au niveau de l’instruction, on suggère à mon avocat qu’il serait bon de refaire une demande de libération. Avec le recul, je comprends que les analyses ADN avaient parlé. […] Vendredi 24 mars, un gardien ouvre la porte de ma cellule et me dit : “Dehors”. Je tombe des nues. J’ai un quart d’heure pour prendre mes affaires, sinon ma sortie sera repoussée au lundi. Je n’ai même pas le temps d’enlever les photos de mes enfants du mur. Cette case prison aura été brutale du début jusqu’à la fin. […] Je retrouve donc momentanément mon foyer, avant de partir pour Aix-en-Provence chez mon frère pour ma conditionnelle aux contours stricts. Enfin, je retrouve mon foyer sans le retrouver, car les cartons sont faits. En effet, ayant eu connaissance de l’affaire, du fait que depuis février je ne touche plus de salaire, [la propriétaire] s’affole et nous met à la porte. Un nouveau coup. Zakiya part s’installer chez ses parents. »

Zakiya Peclet, la femme de l'instituteur. Photo LBP/Emma BUONCRISTIANI

Zakiya Peclet, la femme de l'instituteur. Photo LBP/Emma BUONCRISTIANI

Jeudi 6 avril

Éric Peclet. « Pour moi, l’affaire s’arrête ce jour-là. On a une preuve matérielle, un ADN (qui pointe du doigt la lignée paternelle, ndlr), sur la culotte de la victime. Ce n’est évidemment pas le mien. Oui, j’y croyais, je pensais qu’il faudrait quelques jours pour mettre les choses en place et que de l’autre côté de cette affaire, les investigations [seraient] enfin lancées […] Pas du tout, rien ne bouge, ni pour moi, qui suis toujours le suspect principal, en liberté conditionnelle, ni pour l’autre partie. »

Zakiya Peclet. « Dans ma tête je me suis dit : “Ça y est, c’est fini, dans quinze jours…”. »

Mai-juin

Éric Peclet. « J’apprends qu’aucune investigation n’est menée en face et qu’on me refuse le statut de témoin assisté. L’un des motifs du refus en appel de ce changement de statut est d’ailleurs tendancieux : on m’explique que le lundi 14 novembre 2016, je suis le seul homme à l’école. Ce qui est faux, puisque j’apprends plus tard qu’un de mes confrères qui travaille normalement au rectorat était présent ce jour-là pour une formation. Il a d’ailleurs été interrogé, passé aux photos, etc. De plus, cela indique clairement que malgré la trouvaille sur la culotte de l’enfant, chez elle dans le panier à linge familial, le juge d’instruction part du principe que le viol a bien eu lieu à l’école. Or, rien ne le prouve. C’est une question qui ne trouve toujours pas de réponse à ce jour. Où a eu lieu le viol ? »

Mercredi 5 juillet

Le contrôle judiciaire s’assouplit. Éric Peclet peut quitter Aix-en-Provence et rentrer en Côte-d’Or. « Je retrouve ma famille. »

Jeudi 12 octobre

Éric Peclet. « Je passe devant la chambre de l’instruction (à Dijon, ndlr). C’est ce jour-là que je découvre l’ampleur du comité de soutien créé en juin […]. »

Mercredi 15 novembre

Éric Peclet. « Un an après le début de l’affaire, je passe sous statut de témoin assisté, mais toujours aucune investigation sur cette tache ou sur la famille de la victime. Pourtant, l’ADN a parlé et c’est vers la branche paternelle de l’enfant qu’il pointe. La gendarmerie est toujours en charge de l’affaire. »

Mars 2018

Éric Peclet. « Avec mon nouvel avocat, Me Claude Llorente, nous dépêchons notre propre expert pour analyser la trace de sperme mêlé à du sang. En effet, contrairement à ce que la chambre de l’instruction avait suggéré, aucune morphoanalyse de la tache n’a été réalisée ni commandée par le juge d’instruction. Un mois après, la gendarmerie est dessaisie au profit de la police judiciaire. Pour moi, l’erreur de départ ne vient pas des gendarmes. Je suis persuadé qu’ils n’ont jamais eu envie d’enquêter sur la vie de leur collègue, c’est normal. L’erreur [selon moi] vient du juge d’instruction qui […] les met sur l’affaire. Une aberration quand on sait que la maman a fait partie de la section de recherches de Dijon. » Un administrateur ad hoc est nommé. La police judiciaire reprend l’affaire « et fait le job. Ils ont tout repris, refait des auditions. Mais si longtemps après les faits… ».

La reproduction d’une culotte avec des traces de sang et de sperme a été envoyée à la ministre de la Justice et au défenseur des Droits par Éric Peclet et son avocat Me Llorente. Photo archives LBP/Jeremie BLANCFENE

La reproduction d’une culotte avec des traces de sang et de sperme a été envoyée à la ministre de la Justice et au défenseur des Droits par Éric Peclet et son avocat Me Llorente. Photo archives LBP/Jeremie BLANCFENE

Mardi 11 décembre

Garde à vue du papa, du grand-père et de l’oncle de la victime.

Éric Peclet. « La PJ a fait le job, a posé les bonnes questions, refait les auditions pour aboutir à ça. Mais le juge d’instruction Vion a estimé qu’il n’y avait pas de suite à donner. Il y a une preuve matérielle, mais le doute, dans ce cas, a profité au suspect. Si avec de tels éléments rien ne bouge, je pose la question : qui va en prison après ça ? »

Jeudi 25 février 2021

La nouvelle juge d’instruction, Caroline Dupuy, envoie un avis de fin d’instruction à toutes les parties concernées par cette affaire, qui semble alors se diriger vers un non-lieu.

Le bilan

Photo archives LBP/Jeremie BLANCFENE

Photo archives LBP/Jeremie BLANCFENE

Éric Peclet. « Ce qui ressort de cette période, c’est l’idée que j’allais me faire enterrer vivant. On arrive à la fin de cette histoire sans avoir répondu à la question “qui ?”. Je vais ressortir de cela sans comprendre d’où venait le nœud juridique qui a bien failli me broyer, avec un juge qui ne se déjuge pas, des fusibles judiciaires qui ne remplissent pas leur rôle de garde-fou. […] Comment peut-on mettre en examen quelqu’un alors que des témoins et les circonstances montrent que ça ne tient pas. Mais pire, comment peut-on poursuivre et s’entêter si longtemps dans cette voie quand des preuves ADN émergent ? On dit carrément que cette preuve scientifique ne suffit pas. Dans la même affaire, il y a eu deux extrêmes que je ne comprends pas. Tout cela sur la foi de la déclaration d’une enfant qui a d’ailleurs varié. Qui désignait au départ “un monsieur”. C’est terrible pour elle, qui est victime, de faire reposer tout un dossier sur sa parole. Le seul moyen de me rendre justice après le tort qu’on m’a fait, ça aurait été de désigner un coupable. Cela aurait donné un sens à ce calvaire, que cette enfant obtienne justice. Mais non, même pas, rien n’a de sens. […] Je ne pensais pas qu’il faudrait me battre à ce point pour faire valoir mon innocence. Avant cela j’avais foi en la justice. »

Éric Peclet a réintégré l’Éducation nationale, mais ne souhaite plus travailler devant des élèves : « Je ne veux pas rentrer le soir en psychotant. C’est trop dangereux. »

Zakiya Peclet. « Nous avons vécu quatre ans d’ascenseur émotionnel. […] Après coup, je me dis qu’on a pris un tsunami sur la tête, mais qu’il est passé et qu’on est tous encore là, debout. Nos enfants sont véritablement remarquables. […] Nous sommes tellement fiers d’eux. Ils ont tout de même trinqué. […] J’ai été très entourée, par ma cellule familiale, mes proches. Il y avait de la bienveillance tout autour de nous, malgré l’horreur de l’accusation […] Pendant longtemps j’ai craint le téléphone, persuadée que quelqu’un de méchant m’appellerait pour dire des horreurs. Mais ce n’est jamais arrivé. […] Il faut une raison d’être à tout ce que nous avons traversé. Je crois aux miracles et à l’espoir. »

Me LLorente. Photo archives LBP/Jeremie BLANCFENE

Me LLorente. Photo archives LBP/Jeremie BLANCFENE

« Il aurait été de bonne intelligence de dépayser l’affaire très vite à la police judiciaire, sans attendre mars 2017. Le parquet aurait pu le faire rapidement en démarrant l’enquête préliminaire, puis le juge d’instruction de l’époque […] aurait pu aussi le demander en débutant l’information judiciaire. […]. Mais il faut aussi dire que la gendarmerie a fait une enquête objective. Ça n’a pas été la catastrophe du tout. Je ne trouve pas qu’elle ait été complaisante. Si cela avait été le cas, je l’aurais dit. Elle était complète mais manquait de fond. Il faut dire que lorsque la police judiciaire reprend le dossier, ils sont à fond, ne font pas de cadeau au papa. La gendarmerie a peut-être été plus souple, moins agressive, mais elle a aussi posé les bonnes questions. Toutefois, on peut avoir le meilleur enquêteur du monde, si le juge d’instruction estime que ça ne suffit pas, on s’arrête là. »
Me LLorente, avocat d'Éric Peclet

« J’ai dit aux gendarmes que c’était impossible »

En 2016, Amandine Bressole assurait le remplacement de la directrice de l’école maternelle La Chenaie, à Genlis. Le jour du 14 novembre, elle effectuait sa décharge de direction mensuelle. À la suite d’une erreur, elle se retrouve en doublon avec Éric Peclet, qui restera à ses côtés tout au long de la journée.

Photo LBP/Emma BUONCRISTIANI

Photo LBP/Emma BUONCRISTIANI

« Je leur avais pourtant bien dit qu’il était impossible, totalement improbable qu’il ait pu faire quoi que ce soit. Je ne comprendrais jamais comment ça a pu aller aussi loin pour M. Peclet. » Plus de quatre ans après les faits, Amandine Bressole reste dans l’incompréhension. Dans ses déclarations faites aux gendarmes, jeudi 17 novembre 2016, elle affirme en effet « n’avoir jamais laissé M. Peclet seul avec les enfants ».

Le 14 novembre 2016, à la suite d’une erreur, tous deux se sont retrouvés en doublon dans la classe de petite et moyenne sections dans laquelle se trouvait la petite victime. « Il est resté avec moi tout le temps et était là en appui dans la classe. J’ai fait l’accueil, mis en place les ateliers et, le midi, j’ai dispatché les élèves entre leurs parents et la cantine. Il n’y a pas eu un moment où j’ai laissé le maître seul », raconte la jeune femme.

« Le seul petit temps où je ne l’ai pas eu sous les yeux, c’est à la récréation de l’après-midi. […] Comme certains enfants avaient envie d’aller aux toilettes, je les ai accompagnés pendant que le maître faisait sortir les autres dans les vestiaires pour qu’ils se chaussent et s’habillent. Comme certains élèves étaient prêts, j’ai profité de la présence d’Éric Peclet pour les sortir. Il a donc attendu dans les vestiaires que les derniers finissent de mettre leurs chaussures et leur manteau. Il était avec un petit groupe, pas un seul enfant. Après quelques minutes, il nous a rejoints, je dirais entre cinq et huit minutes maximum après ma sortie. »

Où se trouvait la fillette à ce moment-là ? « Encore maintenant, j’ai beau réfléchir, revivre cette journée, je serais incapable de dire si la victime faisait partie des derniers enfants à sortir ou si elle était dans les premiers avec moi. » Mais elle insiste : « Il est impensable qu’il ait pu faire quoi que ce soit et c’est d’ailleurs ce que j’ai dit aux gendarmes ».

Des faits qu’elle relate donc aux enquêteurs le soir du 17 novembre. Toutefois, quelques jours après la date présumée des faits, la mémoire de l’enseignante lui fait défaut sur certains points très précis : « Ils ne comprenaient pas pourquoi […] je n’arrivais pas à me souvenir de tous les prénoms des élèves. Mais à l’époque, j’assurais des remplacements dans sept écoles différentes ! La classe de La Chenaie, je l’avais eue trois fois depuis le début de l’année. De plus, le 14 était une journée comme une autre […] Je n’avais donc pas imprimé les détails. Je réfléchissais, j’hésitais face aux gendarmes. » Elle leur assure cependant que les seules cinq minutes pendant lesquelles elle ne se trouvait pas avec Éric Peclet n’étaient pas « propices à une agression ».

« J’ai aussi précisé que je ne le connaissais pas et que je n’avais donc aucune raison de plaider en sa faveur. » Surtout, « j’étais certaine de moi, il n’avait jamais eu l’occasion de faire quoi que ce soit ».

"J'ai eu l'impression qu'ils ne me croyaient pas"
Amandine Bressole

Son témoignage semble malgré tout, selon ses dires, ne pas convaincre les gendarmes : « J’ai eu l’impression qu’ils ne me croyaient pas. Le tort que j’ai eu, c’est de ne pas arriver à me souvenir de cette petite en particulier. Avec le recul, je me dis que mes hésitations ont desservi Éric Peclet alors que j’étais sûre de moi le concernant. »

Le soir même, en rentrant chez elle, Amandine Bressole couche par écrit tous les souvenirs qu’elle avait de la journée du lundi. « J’attendais que les enquêteurs me recontactent, me réinterrogent, confrontent mon témoignage, mes certitudes, mais ils ne l’ont jamais fait. »

« Après le début de l’affaire, je n’ai eu aucune question de parents inquiets, mais comme je n’étais remplaçante, ce n’est pas moi qui gérais les réunions avec eux. Les enfants n’en parlaient pas non plus entre eux dans la cour. En tout cas je n’ai jamais rien entendu. La suite de l’année s’est déroulée tout à fait normalement. Je crois que les parents ont fait en sorte de protéger les enfants et la petite victime. Chez elle, je n’ai rien noté de particulier. Elle ne semblait pas se sentir mal à l’aise en classe, alors que je craignais qu’elle se renferme, mais elle s’est comportée tout à fait normalement à l’école. »

Mohammad Valsan. Photo LBP/Emma BUONCRISTIANI

Anissa Wache. Photo LBP/Emma BUONCRISTIANI

Mohammad Valsan. Photo LBP/Emma BUONCRISTIANI

Anissa Wache. Photo LBP/Emma BUONCRISTIANI

De nombreux soutiens pour Éric Peclet

« Quand j’apprends la nouvelle, c’est environ deux semaines après le début de l’affaire, par la radio. Ma famille me confirme que l’enseignant mis en examen est Éric. Pour moi, c’est non. Impossible. Je connais Éric et je sais les valeurs d’éducateur qui l’imprègnent et qu’il porte. Ça ne collait pas. Ce qui était rapporté était un acte de destruction, alors qu’il a passé sa carrière à construire. » Le 10 juin 2017, Mohammad crée le comité de soutien à son oncle, qui compte toujours 400 membres. « Avec la création du comité […], les témoignages ont afflué. Vous ne pouvez pas imaginer le nombre de cas similaires ! […] Pour ma part, ça a été une claque. Je partais travailler chaque matin avec la boule au ventre. […] J’ai voulu, par deux fois, démissionner. […] J’ai fait en sorte de ne plus être dans une classe, ou le moins possible. Je suis donc maintenant essentiellement sur des missions de formation. »
Mohammad Valsan, professeur des écoles, neveu d'Éric Peclet, à l'origine du comité de soutien
« J’ai connu Éric [Peclet] qui était – jusqu’à la rentrée 2016 –, directeur de l’école élémentaire de Morey-Saint-Denis. […] Je l’avoue, à un moment, le doute m’a traversée, la question s’est posée : avait-il pu faire cela ? Il m’a fallu trancher. Je l’ai fait avec ce que je savais de lui. Éric est quelqu’un de sincère, de profondément humain et de foncièrement gentil. Il est extraordinaire avec les enfants. Un vrai gentil, au sens noble du terme. […] »
Anissa Wache, directrice de la maternelle de Morey-Saint-Denis

« Ne pas ajouter une autre erreur judiciaire à ce dossier »

« Il était temps pour eux de donner leur version, face à celle d’Éric Peclet qui a été très médiatisée. » Pour la première fois, Me Billard, avocat du père de la victime, revient sur l’affaire. « Le silence a été leur choix à l’époque, mais on ne peut pas continuer cette politique de la chaise vide. »

Photo LBP/Emma BUONCRISTIANI

Photo LBP/Emma BUONCRISTIANI

Comment va l'enfant,
qui a aujourd'hui 8 ans et demi ?

« Elle a grandi, plutôt bien. Au début, elle a eu un petit suivi pédopsychiatrique, mais qui a bien vite été levé, car ce n’était pas forcément nécessaire. Elle va bien d’un point de vue du développement de l’enfant et ne montre pas de séquelle en lien avec l’affaire. C’est une petite fille comme les autres, avec des résultats scolaires satisfaisants. Il n’y a pas, en apparence, de bouleversement dans sa vie et elle va à l’école avec plaisir. Elle a finalement traversé tout cela avec la naïveté de l’enfance, et c’est plutôt une bonne chose. Elle a aussi été très protégée. La famille évite de parler de l’affaire devant elle, pour ne pas la perturber, elle ou sa grande sœur. Ils ont tout fait pour préserver leur vie de famille. »

Ses parents ont demandé auprès de son école actuelle de ne pas la mettre dans la classe d'un instituteur...

« Leur demande est logique. Ils veulent éviter de réveiller des choses, même si finalement, on ne saura jamais vraiment ce qu’il s’est passé. Elle a 8 ans et demi, rien ne dit qu’elle ne va pas décompenser sévèrement un jour, à l’adolescence. Il y aura peut-être un déclic, qui pourrait l’affecter dans sa vie de femme. On le sait, l’onde de choc d’une agression sexuelle s’étend loin pour les victimes. À 4 ans, elle n’avait pas forcément conscience de ce qu’il se passait et de ce qu’elle vivait. Ce qui est sûr, c’est que l’enfant a été remarquablement encadrée par ses parents et par le système scolaire. Elle n’a pas été ostracisée et a pu conserver un relatif anonymat, qui explique pourquoi elle se sent bien et n’a pas été trop marquée. »

Photo LBP/Emma BUONCRISTIANI

Photo LBP/Emma BUONCRISTIANI

Quelle est l'intime conviction de vos clients sur cette affaire ?

« Le couple est toujours resté sur la même ligne et a toujours cru son enfant. Ils n’ont jamais remis en cause sa parole, qui a toujours été, selon eux, constante dans le temps et à chaque rebondissement de l’affaire. À chaque occasion, elle a redit les mêmes choses. Cette parole emporte tout le reste à leurs yeux. Ils ne peuvent pas concevoir qu’elle ne dise pas la vérité et ses réaffirmations constantes ne font que renforcer leur conviction. Toutefois, ils s’accrochent à des certitudes qui, en l’état, sont qu’un homme a agressé leur enfant et que cela s’est fait par une pénétration digitale, si on en croit le premier rapport médical. Elle a parlé d’un monsieur, puis du maître, “qui lui a gratté dans le kiki”. Avec ses mots d’enfant, elle voulait surtout désigner un homme en fait. Ils n’ont rien contre Éric Peclet, ils ne sont pas dans une logique de vengeance, puisque c’est presque par défaut que l’enquête l’a désigné au départ, et rien au fil du temps n’a permis de remettre en cause les déclarations de la petite. Mais la parole d’un enfant est fragile. Elle peut être influencée par beaucoup de choses qui se sont déroulées dans la journée, par des rêves, l’inconscient, etc. C’est pour cela qu’elle ne peut pas suffire dans un dossier pénal. Il faut alors se raccrocher aux éléments incontestables. Ici, le viol par pénétration digitale. »

Comment vos clients vivent-ils la possibilité d’un non-lieu dans cette affaire, ce qui impliquerait qu’aucun coupable ne soit désigné pour le viol de leur fille, mais aussi que le papa ne serait plus dans le viseur de la justice (il est aujourd’hui témoin assisté au même titre qu’Éric Peclet) ? Est-ce un soulagement ?

« Le non-lieu, c’est plus une frustration qu’un soulagement. Le papa n’est pas soulagé, parce qu’il a la conscience tranquille. Le couple n’a jamais été dans la logique de trouver un coupable à tout prix. Dans un dossier pénal, il y a une certitude ou il n’y en a pas. Eh bien ici, il n’y a que doutes et hypothèses, de l’aveu même du parquet, qui réclame un non-lieu pour tout le monde. Le sentiment des époux, c’est l’inachevé, comme [pour] toutes les parties civiles qui doivent faire face à un non-lieu. Toutefois, ils ne parlent pas d’une injustice. Ils sont frustrés de ne pas connaître la vérité, le fin mot de l’histoire : comment ? Qui ? Ils voulaient juste que la justice passe. Et un non-lieu, c’est aussi l’expression de la justice, même si cela ne donne satisfaction à personne. Mais c’est la preuve que la justice aura tout fait pour trouver une explication à ce qui est arrivé à leur fille. Ils n’ont pas de griefs particuliers contre le maître remplaçant. En revanche, si soulagement il y a, c’est du fait que la justice ne se trompe pas en commettant une autre erreur judiciaire que celle du placement en détention provisoire d’Éric Peclet. »

Attendez, vous êtes en train de dire que l’instituteur n’aurait pas dû aller en prison ?

« Effectivement et je suis le premier à le regretter. En ce sens, je n’ai pas peur de le dire, j’ai toujours considéré cette détention préventive comme une véritable erreur judiciaire. Il aurait fallu, au départ, quand les expertises étaient en cours et que M. Peclet contestait les faits, envisager un contrôle judiciaire strict, une alternative à l’emprisonnement, pour lui éviter d’être confronté violemment au monde carcéral. Ce problème n’est pas nouveau. Voilà vingt ans que je combats ce type de décisions liberticides. Il faut, à mon sens, réduire le pouvoir du juge des libertés et de la détention (JLD). La détention provisoire devrait n’être qu’exceptionnelle, mais on a le sentiment qu’il est plus facile d’offrir cette réponse pénale immédiate, surtout sur ces affaires délicates de viol sur enfant. On a l’impression qu’il faut absolument désigner un suspect et l’incarcérer, dans le doute, comme si on ne pouvait pas faire autrement. Dans ce dossier, je crois qu’on n’était pas obligé de massacrer la vie professionnelle et personnelle de cet homme. C’est aussi pour cela que j’estime qu’il ne faudrait pas ajouter une autre erreur judiciaire à ce dossier en cherchant à tout prix un coupable. Il ne faut pas vouloir condamner quelqu’un alors qu’il subsiste un doute, même s’il est regrettable qu’on n’ait pas pu trouver qui est l’auteur des faits. Les principes de droit doivent s’appliquer autant à M. Peclet qu’à mon client. Aujourd’hui, avec les éléments du dossier, ni mon client ni M. Peclet n’auraient été condamnés aux assises. »

Une chose interroge, c’est le timing du début de l’affaire. Le lundi soir, le papa de la victime informe la maman qu’il y a une trace de sang dans la culotte de l’enfant et ce n’est que le jeudi que la petite est examinée et une plainte déposée. Pourquoi avoir autant attendu ?

« Il y a d’abord un élément, qui ne ressort pas de l’enquête de la gendarmerie mais apparaît quand la PJ (police judiciaire, ndlr) reprend le dossier : la grand-mère de l’enfant explique qu’elle souffre d’un eczéma génital chronique. Elle se gratte donc parfois jusqu’au sang. Cela explique que la maman ne se soit pas orientée tout de suite [vers] une agression sexuelle. Ce n’est qu’avec les entretiens qu’elle a eus ensuite avec l’enfant qu’elle réagit. Et ce que l’enfant lui a révélé a ensuite été redit lors d’une déposition filmée le jeudi (17 novembre 2016, ndlr). Elle dit d’abord un monsieur, puis quand sa maman demande lequel, elle parle du maître, dans la même discussion. »

On peine toutefois à comprendre cette attente, surtout de la part d’une maman gendarme, au fait des procédures et de la valeur des preuves.

« Justement, la profession de la mère est un détail qui a son importance. C’est le réflexe professionnel qui a primé sur le réflexe maternel. Elle a pris garde à ne pas forcer la parole de l’enfant en sachant à quel point ces mots sont fragiles. Elle savait d’expérience les incidences que cela pouvait avoir sur la vie d’un homme. C’est aussi cette déformation professionnelle qui l’a conduite à cette attente, pas un manque de réactivité. »

Comprenez-vous, tout de même, l’impression d’un “deux poids, deux mesures” avec, d’un côté, une mise en examen rapide pour Éric Peclet sur la foi de la parole de la petite, et de l’autre, malgré une preuve ADN qui apparaît, une garde à vue du papa très tardive et qui n’aboutit qu’à un statut de témoin assisté ?

« Quand Éric Peclet est auditionné par les gendarmes, ces derniers ont en tête qu’il y a eu un viol et que la victime le désigne comme étant l’auteur. Il y a une présomption de culpabilité dans l’esprit des enquêteurs, il y a forcément une empathie avec la victime. Mais pour avoir assisté mon client lors de sa garde à vue, je peux vous dire que les agents de police judiciaire lui ont mis la pression. Ils avaient un objectif de résultat dans un dossier qui n’avançait pas, dans une affaire qui piétinait. La PJ n’a pas ménagé ses efforts, probablement tout comme la gendarmerie avec Éric Peclet au début. Mon client a été interrogé avec la même énergie que le maître, d’autant qu’il y avait cette notion d’ADN. Le but de la PJ était d’aboutir à une mise en examen. Quand ces gardes à vue sont décidées, c’est un baroud d’honneur de l’enquête. »

Le rapport d'un spécialiste bordelais, dans le cadre d'une seconde analyse, met en avant une tache de sperme sur la culotte de la victime, parfaitement superposée à la tache de sang de la fillette. Photo archives LBP/Jeremie BLANCFENE

Le rapport d'un spécialiste bordelais, dans le cadre d'une seconde analyse, met en avant une tache de sperme sur la culotte de la victime, parfaitement superposée à la tache de sang de la fillette. Photo archives LBP/Jeremie BLANCFENE

Parlons justement de cet ADN qui apparaît sur la culotte de la victime après une seconde analyse, dirigée par un spécialiste bordelais. Le rapport met en avant une tache de sperme (lignée paternelle) parfaitement superposée à la tache de sang de la fillette. Ce n’est pas rien tout de même ?

« Cette trace de sperme rattachée à l’ADN de la lignée paternelle, sur la culotte tachée de sang de l’enfant, ne concerne pas les faits qui nous préoccupent. En effet, le viol s’est produit par pénétration digitale, pas par un pénis, selon le rapport médical. En effet, l’hymen n’était qu’à moitié rompu. L’ADN est donc complètement hors sujet ici. »

Quid de la théorie du transfert ?

« Une fois de plus, la trace ADN n’est pas pertinente selon moi. Et puis, vous pensez bien que si mon client était coupable, il se serait empressé de faire disparaître cette éventuelle preuve. Il n’aurait pas simplement mis la culotte dans le panier à linge. Quand cet élément voit le jour, le couple cherche évidemment à trouver une explication rationnelle à cette tache de sperme sur le sang de leur fille. Notre idée est que cette trace est ancienne. C’est d’ailleurs pourquoi elle échappe à la première expertise. Ce ne sont que les investigations poussées du bureau bordelais qui la trouve. Elle était donc probablement là longtemps avant les faits de viol. La culotte a [dû être] manipulée par une main contaminée de sperme, puis pliée et rangée. L’enfant l’aurait ensuite portée le jour de l’agression. L’expert admet que la théorie du transfert n’est pas fantaisiste ou impossible. »

Mais l’expert a aussi montré que les deux traces sont parfaitement superposées et explique, dans ce même rapport, que pour obtenir ce tamponnage à l’identique dans le cadre d’un transfert, il aurait fallu un appui conséquent et prolongé, dans une pièce fraîche, etc. Autant de conditions rarement réunies dans un panier à linge…

« Je n’ai pas plus d’explication que l’expert interrogé, qui n’exclut pas la contamination. On a un dossier d’hypothèses, sans certitude. Or, à l’issue d’une information judiciaire, on ne peut pas poursuivre sans lever tous les doutes. »

À aucun moment, l’épouse de votre client n’a douté de son innocence ?

« Évidemment, on est, avec l’ADN, face à un élément du dossier qui aurait pu générer un doute sur la déclaration de l’enfant. Mais ça n’a pas semé le trouble dans le couple, qui a toujours été très uni. Ils ont combattu ensemble cette diabolisation qu’ils ont connue. Au moment où l’ADN sort, paradoxalement, cela soude le couple encore plus. Les époux ont ainsi fait face ensemble à la pression médiatique. »