50 ans de l'A6
en Côte-d'Or

L'histoire d'un axe qui a changé le département

Photo archives LBP

Photo archives LBP

Douze ans pour
la concevoir

Trois ans pour
la réaliser

Deux heures pour l'inaugurer

Introduction : l'autoroute qui a changé la Côte-d'Or

Le 29 octobre 1970 changera à jamais le visage de notre département. Ce jour-là, le président de la République Georges Pompidou inaugure le dernier tronçon de l'autoroute A6 entre Pouilly-en-Auxois et Mâcon: point final d'un formidable axe de 455 kilomètres qui permettra à la Côte-d'Or d'être au centre d'un gigantesque carrefour européen. Mais aussi de relier Lille à Marseille d'une traite !

L'autoroute est l'équivalent de ce qui est dans l'organisme humain le système circulatoire. Elle apporte la vie."
Georges Pompidou, le jour de l'inauguration de l'A6 à Savigny-lès-Beaune

Cinquante années plus tard, Le Bien Public vous propose de replonger dans la formidable histoire de l'A6 en Côte-d'Or : sa naissance, ses difficultés mais aussi son inauguration pour le moins singulière ! Bonne lecture.

"Douze ans pour la concevoir,
trois ans pour la réaliser"

Comme l'indiquait notre journal le 29 octobre 1970, il a fallu 12 ans pour concevoir l'autoroute A6 mais seulement trois ans pour la réaliser ! En effet, les études concernant la section Avallon-Villefranche-sur-Saône de l'autoroute débutèrent dès l'année 1955. Mais c'est en 1967 que les premiers coups de pelles furent donnés.

Si l'A6 est officiellement ouverte à la circulation sur toute sa longueur en 1970, l'axe est arrivé timidement dans notre département une année plus tôt. Le 24 octobre 1969, malgré les craintes motivées par les événements de 68, l'autoroute pointa le bout de son nez avec un premier tronçon de 58 kilomètres entre Avallon et Pouilly-en-Auxois.

Le jour de l'inauguration du tronçon entre Pouilly-en-Auxois et Avallon. Photo archives LBP

Le jour de l'inauguration du tronçon entre Pouilly-en-Auxois et Avallon. Photo archives LBP

En cette belle journée d'automne, ce "petit" tronçon fut inauguré et le cortège de personnalités (voir ci-contre) s'élança "bon train" sur la voie descendante à 125 kilomètres par heure. Un petit événement qui fut couplé à un second. En parallèle de l'A6, la première section de la bretelle Pouilly-Dijon était également ouverte à la circulation jusqu'à Sombernon. "Ainsi, en un jour, la capitale de la Bourgogne s'est encore un peu rapprochée de Paris", pouvait-on lire dans nos éditions de l'époque, même si Dijon sera, au final, la grande oubliée de cet axe (voir plus bas).

Des travaux titanesques !

De la bouche des spécialistes de l'époque, la section Pouilly-en-Auxois - Mâcon, longue de 116,30 kilomètres, était la plus difficile à réaliser à cause de la nature des terrains traversés.

Un chantier difficile

Que de cailloux !

De par la nature de son terrain, la traversée de la Côte-d'Or de l'autoroute A6 allait présenter de nombreuses difficultés pour les ingénieurs de l'époque. Notamment dans la région de Pont-d'Ouche et de Beaune.

Ainsi, et comme le rappelle le Bien Public de l'époque, il fallait, rien que dans la portion Pouilly-en-Auxois - Pont-d'Ouche (soit 14,5 petits kilomètres), envisager la création de neuf ouvrages hydrauliques, déblayer 2 000 000 m3 et 1 650 000 m3 de remblais mais surtout construire le fameux viaduc de Pont-d'Ouche qui enjambera la vallée de l'Ouche ! (voir plus loin)

La section Pont-d'Ouche - Beaune (22,3 km) apportera également son lot de difficultés.
"Que de terre et de cailloux remués", écrivait le journaliste André Duriez dans les années 1970. Là-aussi, les chiffres donnent le tournis: plus de quatre millions de m3 de déblais et trois millions de m3 pour le remblais !

L'autoroute ou la vigne ?

A l'entrée dans la zone beaunoise, un nouveau casse-tête souleva la polémique. En effet, initialement, l'autoroute devait passer en grande partie sur le territoire de Savigny-lès-Beaune et sur les terres de 69 petits propriétaires. Si cette solution était retenue, 102 parcelles de vignes auraient été mutilées, soit 16 hectares et demi de crus.

Pour éviter cela, divers projets de tracés furent envisagés. Certains ambitieux comme la construction d'un viaduc qui enjamberait les vignes dans la région de Chassagne-Montrachet. Ou encore, la création d'un viaduc qui passerait sur le vignoble beaunois. Finalement, on choisira de préserver le bijou bourguignon en contournant le mont Battois, n'obligeant à l'expropriation que 4 ou 5 hectares de vignes.

Deux viaducs à imaginer

En arrivant dans le département de la Côte-d'Or, les ingénieurs de l'époque avaient deux difficultés à relever. Franchir la vallée encaissée du Serein à Toutry et celle de l'Ouche à hauteur de Pont-d'Ouche.

Le viaduc de Toutry

Pour construire cet ouvrage, d'énormes travaux ont été mis en œuvre. Comme le rappelle l'édition du Bien Public le jour de l'inauguration de l'A6, les premiers sondages pour ce viaduc furent effectués en 1966. Il sera terminé en 1969 peu avant l’ouverture de la section Avallon-Pouilly-en-Auxois.

L'ouvrage totalement droit (contrairement à celui de Pont-d'Ouche) est long de 260 mètres. Huit poutres ont été nécessaires pour sa réalisation. Le viaduc est supporté par 14 piliers, les plus petits mesurant 9,5 mètres de hauteur et les plus grands pas moins de 18 mètres.

Par ailleurs, d'importants travaux ont été menés dans la traversée du village de Crugey. Les ouvriers ont dû creuser une tranchée, construire un pont pour permettre le passage de la départementale 18 qui lie Pont-d'Ouche à Vandenesse et ainsi franchir le canal de Bourgogne.

Le viaduc de Pont-d'Ouche :
le chef d’œuvre

"Il fallait construire un ouvrage dont la taille, la conception en font à présent le plus important ouvrage de l'autoroute."
Le Bien Public du 29 octobre 1970

S'il fallait retenir qu'un ouvrage de l'A6, ce serait à coup sûr celui-là. Le viaduc de Pont-d'Ouche avait la lourde tâche d'établir la jonction entre la butte nord et la butte sud distantes de plus de 500 mètres dans une légère courbe. Au total, une quarantaine de personnes auront travaillé à sa construction dans un délai plus que correcte : les travaux débutèrent "seulement" en février 1969 !

Au final, l'ouvrage va remplir sa mission de relier les deux buttes après "120 400 heures de travail, sans aucun accident", précisait-on à l'époque.

84 piliers auront été nécessaires pour le faire tenir debout dont le plus haut culmine à la hauteur de 26 mètres. Au total, 10 000 mètres cubes de béton précontraint auront été absorbés par l'ouvrage.

A noter aussi, la particularité du tablier qui comportera deux voies séparées par un vide de deux mètres.

Le viaduc de Pont-d'Ouche lors de sa construction en mai 1970

Lors de la construction du tablier
en mars 1970

Les déçus de l'autoroute

Des riverains mécontents

Comme tout chantier colossal, l'autoroute A6
a nécessité la mise en œuvre de travaux importants en Côte-d'Or. Il a fallu pour les riverains de l'axe composer avec le trafic incessant des engins de chantier. Par ailleurs, et comme le rappelait le journaliste du Bien Public André Duriez, "des carrières furent ouvertes dans l'Auxois, au mont Télégraphe près de Semur-en-Auxois, à Charny et aux anciennes carrières de Pouilly-en-Auxois. Le va-et-vient des engins apporta évidemment beaucoup de gêne aux habitants des communes traversées."

Le chantier apporta aussi de la vie économique et une ambiance sympathique dans certaines communes. Qui retombèrent malheureusement dans leur torpeur, une fois les travaux achevés.

Il y eut aussi des protestations de cultivateurs riverains de l'autoroute, rappelle le journaliste. Comme ceux du canton de Précy-sous-Thil et du canton de Pouilly-en-Auxois. Ils se plaignaient de la précarité des clôtures rétablies par l'administration après les travaux de l'autoroute. Selon eux, elles n'étaient pas assez solides pour le gardiennage des animaux. Finalement, leurs doléances seront entendues.

Bye bye nationale 6 !

Et puis, il y avait la nationale 6 et ses villes qui profitaient de son incroyable attractivité : Saulieu en tête. Du jour au lendemain, tout était fini.

En 2010, pour les 40 ans de l'A6, Guy Virvoulet, ancien restaurateur, déclarait : "Saulieu est passée de 3 500 à 350 véhicules à l'heure. On faisait des ronds à vélo sur la nationale 6". Saulieu parviendra à se relever, notamment grâce à Bernard Loiseau. Le chef insistera pour que le nom de la ville apparaisse sur les pancartes de l'A6 dans les années 80. "Il fallait inciter les vacanciers à sortir à Avallon ou Pouilly-en-Auxois pour faire une demi-heure de nationale jusqu'à Saulieu", expliquait dans nos colonnes en 2010 sa femme, Dominique Loiseau.

Si des villes ont souffert, d'autres ont vécu ça comme une véritable bénédiction : Précy et Semur en tête grâce à la sortie de Bierre. "On vend des terrains à des gens qui n'ont aucune attache avec nos territoires et qui s'y installent uniquement parce que nous sommes à mi-chemin entre Paris et Lyon", expliquait Martine Eap-Dupin en 2010 dans un article consacré aux 40 ans de l'autoroute.

Et Dijon dans tout ça ?

Si il y a bien une ville qui a regardé de loin l'histoire de l'A6, c'est Dijon. La capitale bourguignonne a tout simplement été oubliée dans le tracé de 1955. "En fait, les ingénieurs ont tiré au plus court et au moins onéreux pour définir le tracé de l'A6", expliquait l'ancien maire de Dijon Robert Poujade il y a dix ans. Mais l'homme politique a "rattrapé le coup" en offrant une bretelle d'accès gratuite à l'A6 entre Plombières-lès-Dijon et Pouilly-en-Auxois : l'A38. "Le président Pompidou voulait que je devienne secrétaire général de l'UNR (Union pour la nouvelle république). Je lui ai dit : "J'irai si vous m'accordez cette autoroute gratuite." Il l'a accepté et a tenu son engagement", expliquait ainsi Robert Poujade.

Les travaux de l'autoroute à Crugey le 29 juillet 1970. Photo archives LBP

Les travaux de l'autoroute à Crugey le 29 juillet 1970. Photo archives LBP

Le même endroit le 20 octrobre 1970. Photo archives LBP

Le même endroit le 20 octrobre 1970. Photo archives LBP

La nationale 6 à l'été 1970. Photo archives LBP

La nationale 6 à l'été 1970. Photo archives LBP

La nationale 6 à l'été 1970. Photo archives LBP

La bretelle Dijon-Pouilly en 1980. Photo archives LBP

La bretelle Dijon-Pouilly en 1980. Photo archives LBP

La bretelle Dijon-Pouilly en 1980. Photo archives LBP

Le 29 octobre 1970 :
Le jour-J !

Une inauguration singulière

Verra-t-on le viaduc ?

Ça y est, elle est terminée ! Et le 29 octobre 1970, l’autoroute A6 doit être inaugurée en grande pompe par le président de la République Georges Pompidou, venu spécialement en Côte-d’Or.

Mais la veille du grand jour, c’est l’angoisse : « Le président Pompidou verra-t-il le viaduc de Pont d’Ouche ? » titrait le Bien Public. En effet, en cette fin d’octobre 1970, un épais brouillard s’abattait sur notre région et plus précisément dans l’Auxois et la vallée de l’Ouche. S’il persistait le jour de l'inauguration, le président ne verrait même pas le viaduc, « orgueil légitime des réalisateurs de l’autoroute. Tout au plus, pourra-t-il voir dans une perspective fuyante un ou deux piliers depuis l’aire de stationnement aménagée au belvédère », s’inquiétait le journaliste de l’époque.

Finalement, le brouillard, bien que présent (voir plus bas), laissera tout de même un répit pour permettre au président de la République d’admirer l’ouvrage. L’honneur est sauf !

La visite

Ce 29 octobre 1970, c’est l’effervescence en Côte-d’Or et notamment à Blaisy-Bas qui voit arriver à 10 h 30 le train officiel du président. « Détendu et souriant », Georges Pompidou est accompagné de six ministres. Les cris de « Vive Pompidou » éclatent du terre-plein où était massée la population du village. Le président prendra un premier bain de foule « au cours duquel, il serra des mains et caressa les joues de quelques enfants ».

Puis direction Pouilly-en-Auxois par la route, point de départ du nouveau tronçon qui allait être inauguré. Il sera accueilli par Pierre Bordereau, maire de Pouilly de l’époque, qui dans son discours soulignera le « grand et périlleux honneur d’accueillir le premier personnage de l’État »

C’est sous le brouillard, que le cortège a pris ensuite la direction de Pont-d’Ouche. Il s’arrêta sur l’aire de repos de la « Petite Chaume » où le président devait découvrir « toute l’étendue et l’importance de l’ouvrage d’art ». Et là, ce fut un petit miracle. « Le brouillard qui enveloppait totalement le secteur à l’arrivée du cortège, s’est alors levé et le soleil a pu baigner de ses rayons le paysage qui a gardé son esthétique malgré les tonnes de béton qui enjambent la vallée de l’Ouche ».

Pompidou fonce dans le brouillard

"Les courbes sont bien étudiées.
Le parcours est très roulant "
Georges Pompidou

Pompidou au volant d'une Renault a dévalé 10 km de bitumes. Photo archives LBP

Pompidou au volant d'une Renault a dévalé 10 km de bitumes. Photo archives LBP

Après l’arrêt de Pont-d’Ouche, c’est le président en personne qui s’installa derrière le volant. Et pas de n’importe quelle voiture. « Une R16 T.S. » de la régie Renault. Le président de la République « ayant à ses côtés un chauffeur des voyages officiels, a roulé sur une dizaine de kilomètres, poussant même une pointe jusqu’à 150 kilomètres par heure », le tout sous le brouillard accroché au sol. Et le chef de l’État de déclarer après cet essai : « les courbes sont bien étudiées. Le parcours est très roulant »

Fait insolite : la pointe de vitesse du président, manifestement pas prévue dans le protocole, ne permettra pas à la voiture « travelling » chargée de faire des images, de fixer le moment sur pellicule ! « Heureusement, un de nos photographes était au bon endroit », se réjouissait le Bien Public de l’époque.

C’est à Savigny-lès-Beaune que la cérémonie d’inauguration proprement dite a eu lieu. Et ce n’était pas un hasard ! La plaque toujours en place aujourd’hui explique : « Le 29 octobre 1970, M. Georges Pompidou, président de la République française, a inauguré la liaison Lille-Paris-Lyon-Marseille en ce point situé à mi-distance de Lille à Marseille par l’autoroute. »

M. Besancenot, président des viticulteurs, fournissant des explications au président à la table d'orientation de Savigny-lès-Beaune. Photo archives LBP

M. Besancenot, président des viticulteurs, fournissant des explications au président à la table d'orientation de Savigny-lès-Beaune. Photo archives LBP

Après les honneurs militaires et la bienvenue du maire de Savigny-lès-Beaune Pierre Petitjean, le président fut accompagné par M. Besancenot président du Comité interprofessionnel des vins de Bourgogne à « une monumentale table d’orientation construite dans un site qui domine toute la région. Mais le brouillard a complétement noyé le paysage. Le président ne distinguera que les premiers rangs de vignes » écrivait-on à l’époque. Sacré brouillard !

« La foule sur l’aire de repos était considérable, le président de la République aura du mal à s’arracher de toutes ces mains qui se tendent vers lui en gage d’amitié et de sympathie de la Côte-d’Or », précisait-on encore. Le président arriva tout de même à la tribune tricolore où il prononcera son discours.

A 13 heures, le président de la République regagna sa voiture pour arriver dans la cour d’honneur de l’hôtel-Dieu de Beaune où 2 000 personnes l’attendaient pour une cérémonie. Dans son allocution, le maire de Beaune Henri Moine remerciait le chef de l’État «  de l’attachement qu’il portait à la ville et de son souci d’être informé de ses besoins les plus pressants. Avec l’A6, cette région va retrouver sa vocation première de grand axe de communication de l’Europe occidentale ».

Georges Pompidou lors de son discours à Beaune. Photo archives LBP

Georges Pompidou lors de son discours à Beaune. Photo archives LBP

" Tout doit se faire dans le respect d’un certain cadre de vie, pour notre santé morale et sociale, dans ce cadre que nous ont légué les siècles et qui demeure le mieux adapté à l’homme "
Georges Pompidou

Et Pompidou de déclarer cette phrase : « Il me reste à exprimer le vœu, que dans cette région appelée à un très grand avenir économique, dans lequel Beaune tient un espace de choix, ce développement s’accomplisse sans que soient défigurés vos paysages et vos sites. Car tout doit se faire dans le respect d’un certain cadre de vie, pour notre santé morale et sociale, dans ce cadre que nous ont légué les siècles et qui demeure le mieux adapté à l’homme. Cette ville doit conserver ses richesses historiques tout en se tournant délibérément vers son avenir économique »

Pour conclure sa visite, le président de la République se rendra à l’hôpital pilote de Beaune après un déjeuner au Clos de Vougeot. Puis vers 15 h 35, il quitta Beaune pour rejoindre Chalon et Mâcon par l’autoroute A6.

La suite de l'histoire de l'A6 en Bourgogne est à lire chez nos confrères du Journal de Saône-et-Loire